moi aussi je sais faire des choses

des tas de trucs

je sais faire avec dextérité

oui je sais faire ça

je sais faire ça les yeux fermés

je sais, oui je sais faire ça

avec les bras en l'air

oui les pieds dans la même jambe de pantalon

je sais faire

en courant même

aussi je sais par exemple

toucher mon front avec ma langue

tu sais faire ça toi

moi oui j'ai du talent pour tout

de la facilité

petite j'avais des prédispositions

je pourrais faire tous les métiers

parce que je sais faire des tas de trucs

tiens par exemple je sais faire chanteuse ()

tu vois je sais faire

moi aussi je sais faire des choses

oui moi aussi je sais faire des choses

moi aussi je sais faire ça

moi aussi je sais raconter des trucs

je sais dire des histoires

je sais le faire

je connais des histoires

avec des héros qui meurent

et des ennemis qui meurent pas

avec des héros qui ne savent pas qu'ils vont mourir

et des bagarres, des meurtres, de l'amour

tout ce qu'il faut pour une histoire

oui je sais

une histoire comment c'est fait

Qu'est-ce qu'elle fabrique Rigolette ?

Est-ce qu'elle se marre ?

Son visage candide, son ovale parfait qu'est-ce qu'ils racontent au regardeur ?

A nous tableau-spectateur ?

Rigolette dis-moi tu regardes qui ? Les oiseaux comme Félicité ? La cage ? La tienne ? T'as pas l'air de te marrer Rigolette, tu t'ennuis, tu fais quoi dans ta vie d'aujourd'hui Rigolette ? A part attendre Germain, tu fais quoi ? Tu rêvasses ? Tu fais des nœuds avec tes doigts ?

T'as lissé tes cheveux ce matin, ça a pris le temps qui faut et après il a bien fallu que tu trouves une occupation, un coup de chiffon sur le rebord de la fenêtre, mais ça a pris quelques secondes pas plus, j'ai pas raison hein ! après ça, t'as fait quoi Rigolette ? T'as pas pu consulter tes mails, vu qu'en 1844 t'as pas encore internet, t'as pu lire un billet doux, mais sur la table y'a pas de billet doux, sûr que le peintre nous l'aurait montré, à nous tableaux-spectateurs de toi, sinon il l'aurait peint ce petit billet, avec soin comme  les menus détails qui complètent l'atmosphère de la mansarde (comme dit le type), et puis peut-être que t'as mangé quelque chose sur le pouce, parce-que seule c'est comme ça, c'est sur le pouce, au bord de la table, très peu de miettes et on essuie rapide, le peintre M.Court aurait pu peindre une ou deux miettes au bord de la table négligemment, comme des indices pour indiquer au tableau-spectateur, que toi Rigolette en attendant Germain t'as mangé sur le pouce un morceau de pain avec un bout de fromage, parce-que t'as pas une grande faim, mais peut-être que pour Joseph-Désiré Court c'est pas important voir vulgaire ou peut-être que tout simplement la table c'est en fait un secrétaire et que toi Rigolette tu manges jamais sur ton secrétaire même si c'est sur le pouce, en tous cas pas sur le secrétaire où t'as écrit toutes ces lettres d'amour à Germain, peut-être aussi que t'as jamais écrit de lettres d'amour, mais que c'est plutôt Germain qu'a écrit de nombreuses lettres à ses nombreuses maîtresses et qu'il a jamais mangé sur le secrétaire même sur le pouce car quand il écrit des lettres d'amour il est trop absorbé Germain pour penser à manger, Germain est du genre à oublier de manger quant il est amoureux par passion, le sais-tu ça Rigolette ? Toi qu'as peut-être pas encore déjeuné aujourd'hui, sais-tu donc Rigolette que tu représentes à merveille la victime du mélodrame qui va se jouer et que l'on pressent dans le titre choisi par le peintre Joseph-Désiré Court « Rigolette cherchant à se distraire pendant l'absence de Germain », en fait M.Court  nous dit pas que tu attends Germain, mais il nous dit que tu cherches à te distraire pendant son absence, c'est bien que son absence te pèse et occupe ta tête tout entière n'est-ce pas ! c'est donc bien que t'es impatiente de le voir rentrer, donc tu l'attends, j'ai pas raison hein  Rigolette ! , c'est bien ça, tu l'attends ton Germain et tu sais pas ce qu'il fiche et quand il va rentrer, toi en attendant tu sais pas quoi fabriquer et tu tripotes un truc qui ressemble aux sacs polluants qu'ils donnent aux caisses des grands hypermarchés, sauf qu'on est en 1844 et qu'il y'avait pas encore d'industrie de plasturgie pour fabriquer des sacs polluants comme ça et que le célèbre Joseph-Désiré Court connaissait pas encore les grands hypermarchés, donc on peut pas supputer que t'as fait un saut à l'hyper-hyper ou à la supérette du coin pour acheter un truc à grignoter c'est à dire à manger sur le pouce, non c'est pas possible.

Donc en fait, on sait que va se jouer un mélodrame sentimental, à cause du titre du tableau, du truc que tu tripotes et qu'est pas un sac polluant mais aussi à cause du pot d'héliotrope, car l'héliotrope est en 1844 un symbole d'infidélité, si Joseph-Désiré était né au moyen-age l'histoire aurait été différente car l'héliotrope était alors symbole d'inspiration divine et t'aurais certainement fais tes vœux chère Rigolette, ou bien Joseph-Désiré aurait peint un pot de basilic qui symbolisait alors la cruauté et à défaut de mélodrame sentimentale, le tableau-spectateur aurait senti se pointer la grande tragédie, la vraie, mais c'est dans un beau livre de peinture qu'un type te consacre 16 lignes Rigolette, et nous apprend donc l'histoire de l'héliotrope et de l'infidélité. Tu le savais ça, toi ? Sûrement que non, parce-que sinon tu les aurais pas achetées ces fleurs là, superstitieuse comme t'es, à moins que ce soit Germain qu'ait voulu te faire plaisir en passant par le marché et qui les a trouvées charmantes ces fleurs, Joseph-Désiré, lui se serait servi de cette opportunité pour dire au tableau-spectateur que nous sommes et de manière détournée, que l'infidélité menace ton bonheur tranquille, à moins qu'une tierce personne, un domestique par exemple ait décidé d'orner le bord de la fenêtre d'un pot d'héliotrope parce qu'il est plein de mauvaises intentions à l'égard de ces maîtres, ou qu'il est au courant des aventures de Germain et qu'il voudrait bien t'alerter toi Rigolette, pour ton bien, mais peut-être aussi parce qu'il t'aime ce domestique, que t'as été très bonne pour lui et qu'il est tombé fou amoureux de toi, aussi parce que t'as ce charmant visage candide et son ovale parfait peint par M.Court, ce visage qui provoque l'amour, pourtant ton Germain il rentre pas, tu l'attends toujours, on dirait bien qu'il n'est pas décidé à rentrer, d'ailleurs nous tableaux-spectateurs on sait pas quelle tête il a et ce qu'il fait dans la vie ton Germain, on peut penser que c'est un notable car Joseph-Désiré Court a peint de beaux meubles mais en même temps on voit qu'un fauteuil et le coin d'une table ou d'un secrétaire, alors pour juger de la fortune d'un homme c'est maigre, il se peut très bien que ton Germain soit ruiné et qu'il lui reste en tout et pour tout un fauteuil et une table ou un secrétaire, ou pire, seulement le coin d'une table ou d'un secrétaire juché sur un rondin. Si on parlait un peu de la corde Rigolette, pour le tableau-spectateur c'est pas flagrant, et puis il en parle pas le type du bouquin, mais la corde elle maintient la cage et dedans il y a les oiseaux amoureux, ça il en parle le type et donc si quelqu'un par mégarde dénoue le nœud, on peut bien penser, Rigolette, que la cage elle tombe, que la porte s'ouvre et que les amoureux s'échappent, séparés à tout jamais ou exposés aux infidélités (c'est le coup de l'héliotrope), hein ! on peut penser à ça, pire encore le type du bouquin de peinture a pas évoqué le moins du monde que cette corde pouvait servir aussi à se pendre, par exemple en cas d'extrême détresse, ce qui peut arriver n'est-ce pas Rigolette (et le mélodrame prendrait tout son sens.) Alors récapitulons ensemble, entre tableaux-spectateurs, soit primo, quelqu'un, une deuxième tierce personne où la même que pour le pot d'héliotrope, dénoue la corde, la cage tombe, la porte s'ouvre, le couple d'oiseaux amoureux s'échappe, s'expose à l'infidélité et nous alerte, nous tableaux-spectateurs ainsi que toi Rigolette quant à l'éventualité d'une ou plusieurs infidélités de Germain à ton égard Rigolette, ou bien deusio, la corde est là bien visible, peinte par Joseph-Désiré pour nous avertir, nous tableaux-spectateurs que toi Rigolette dans un moment de grande détresse t'auras l'opportunité de la saisir pour mettre fin à tes jours et du même coup à toutes ces humiliations, étant toi-même pressentie comme future victime du mélodrame qui va se jouer dans ce tableau. Après la corde et le pot d'héliotrope, le regard glisse vers le paysage urbain brumeux au dernier plan, donc Rigolette, nous tableaux-spectateurs, nous pouvons pas passer à coté de ça, c'est-à-dire Paris, c'est-à-dire les mystères, c'est-à-dire Paris et ses mystères comme dit le type du bouquin, c'est-à-dire Les mystères de Paris, car tu sais très bien Rigolette, que ce tableau dans lequel tu figures telle qu'on te voit avec ton visage candide et son ovale parfait, est inspiré du roman feuilleton Les mystères de Paris, qu'Eugène Sue son auteur a publié par épisodes de 1842 à 1843, on sait grâce au type du bouquin (l'autre), que ce paysage urbain que l'on aperçoit un peu brumeux en dernier plan derrière la fenêtre représente les quais de la scène et l'inquiétante silhouette de la conciergerie, on peut penser, nous, tableaux-spectateurs avertis, que si Joseph-Désiré à mis, admettons, trois mois à peindre les quais de la scène et l'inquiétante conciergerie, c'est pas pour faire beau, parce qu'un peintre ça peint pas pour faire beau, même Joseph-Désiré Court en 1844, alors  faut croire qu'il a voulu nous dire quelque chose que peut-être tu ignores encore Rigolette, toi t'attends toujours Germain, peut-être qu'il a voulu nous dire par exemple que les quais de la scène c'est propice aux ballades en amoureux de Germain et ses nombreuses conquêtes, et puis la conciergerie, tu sais bien que c'est une prison, hein ! Rigolette, alors une prison pour qui ? Peut-être que Joseph-Désiré a voulu nous dire que si tu te décides pas à utiliser la corde pour te pendre, tu vas finir par tuer Germain une nuit ou il rentrera très tard portant un parfum lourd et féminin, et de toute façon ça finira mal, c'est ce qu'il nous dit le peintre Joseph-Désiré Court, enfin c'est ce qu'on pense quant on a pas lu Les mystères de Paris mais qu'on a lu le bouquin d'art avec le type qui analyse en 16 lignes et qui repère dans le tableau les signes du mélodrame sentimental, dans la vraie histoire on sait pas, on est complètement ignorant, on a pas lu l'autre bouquin, mais par contre dans le tableau, on s'en doute bien maintenant, à coup sûr ça va finir en mélodrame sentimental ou bien on va frôler la tragédie (sans le basilic), de toute façon à la fin le type il nous dit que toi Rigolette t'es devenu pour la mémoire populaire la figure mythologique du mélodrame sentimental, alors on le croît.

Cécile Richard.